École Victor Hugo, les années cinquante...
Deux heures à rester attentifs sous la férule du maître ou à faire semblant de l’être, deux longues heures à lutter contre l’impérieux besoin d’échanger quelques mots avec un condisciple co-indiscipliné, ça vous fourmille les bras et les jambes, ça vous rend le postérieur de plus en plus lustreur du banc du pupitre, ça vous ébullitionne la caboche de la marmaille scolastique. Face à la menace d’explosion imminente, un seul exutoire : la récré !
Dans toutes les écoles, la cour de récré est un monde hors le monde d’où les adultes ont la sagesse de se savoir importuns, à peine tolérés pour venir calmer ou exclure vers le piquet ceux dont l’excès d’excitation fait tache dans le bourdonnement ambiant.
Notre cour était délimitée par trois murs sur lesquels s’accrochaient les verrières qui assuraient notre protection les jours de pluie. Quant au quatrième, il supportait vaillamment nos pissotières et, hélas, nous interdisait tout accès visuel à l’univers des filles de l’autre côté...
Nul ne se souvient du génial garnement qui imagina de transformer cette verrière en terrain de pelote et nul n’a retenu les noms des maîtres qui décidèrent d’en tolérer la pratique dans un coin de la cour des grands.
La verrière était constituée d’épais panneaux lisses en verre armé incrustés entre des armatures de fer en forme de T renversé, ce qui laissait des arêtes verticales de plus d’un centimètre érigées vers le ciel.
Le jeu consistait à renvoyer de la paume de la main sur la verrière une balle de ping-pong. En heurtant une arête elle changeait brutalement de direction et la trajectoire était aléatoire en fonction de l’angle d’impact, de la force donnée et du nombre d’arêtes rencontrées.
Chaque équipe de deux ou trois membres s’évertuait alternativement à empêcher la balle d’atteindre le sol. Aux multiples et capricieux changements de direction, aux encombrants obstacles qu’étaient nos adversaires et parfois nos partenaires s’ajoutaient les incursions des équipes des matches adjacents car aucune limite territoriale n’était fixée.
De temps à autre la confusion et les injures atteignaient un tel paroxysme que le maître, excédé, expédiait deux des belligérants au piquet au centre de la cour. Les survivants continuaient le combat...
En ce temps-là, l’argent de poche était exceptionnel et les balles faisaient souvent défaut. Nous contournions l’obstacle par un savant bricolage d’un avatar confectionné à l’aide de feuilles de cahier compactées et rigidifiées par des bandes d’adhésif. La sphère était approximative, mais suffisamment fonctionnelle.
Pourtant un grave danger menaçait nos ersatz de balle : nous jouions dans un coin de la cour où deux verrières se rejoignaient par l’intermédiaire d’une goulotte de section rectangulaire dont la pente était fatalement plus faible et dont le plancher métallique rugueux capturait trop souvent notre projectile, le transformant en obstacle supplémentaire fatal à la balle de rechange que nous mettions en jeu.
En quelques jours le terrain serait devenu impraticable si nous n’avions pas eu un complice pour nous tirer de ce mauvais pas : le concierge de l’école, Adrien BAUMGARTH - mon grand-père - nettoyait chaque soir, d’un zèle scrupuleux, cette maudite goulotte piégeuse.
Mon frère fut l’un des gamins auxquels il confiait chaque matin la mission de ramener sa moisson quotidienne de pseudo et vraies balles aux compétiteurs.
Récemment, ce frère, Christian, m’a ramené dans notre chère école ; c’était l’heure de la récré, mais aucune partie de pelote n’était engagée... En levant les yeux, consterné, j’aperçus une verrière neuve, magnifique, mais d’une planéité imbécile interdisant à tout jamais la pratique de notre sport. Hélas, la rénovation n’avait pas été confiée à un ancien Victor-Hugolien ...
Je prends la plume pour témoigner : notre pelote-verrière, petite sœur de la pelote des Mayas et de la pelote basque, née du génie inventif de la marmaille Victor-Hugolienne, avait toutes les qualités requises ( bien plus que le squash ) pour quitter son sanctuaire et conquérir le monde ; mais les enfants, hélas, n’ont pas leur mot à dire sur l’implantation des verrières...
Je fais un rêve : il suffirait de presque rien, d’un mur accueillant à quelques mètres de verrières, de quelques explications données aux gamins du quartier pour qu’ils s’approprient le merveilleux sport de notre enfance et le fasse revivre. Ajoutez quelques bancs autour et vous aurez un lieu convivial intergénérationnel où les pratiquants des temps anciens pourront se réunir pour commenter les prouesses des jeunes en se réjouissant la rétine...
La pelote-verrière Victor-Hugolienne ne peut pas se perdre dans les poubelles de l’histoire ; elle doit être classée au patrimoine culturel de Créteil.
Ma bourse de Cristolien exilé est ouverte à une souscription communale.