L’utilisation de l’histoire orale pour écrire l’histoire n’est pas une méthode récente. Dès l’Antiquité, le Grec Thucydite interroge les témoins visuels des événements de la Guerre du Péloponnèse (431-411 avant J.C).
En France, à la fin du XIX° siècle, malgré le mouvement positiviste, les ethnologues "folkloristes" s’efforcent de collecter les témoignages et les vieilles chansons (cf la Revue des traditions populaires). Toutefois, ce n’est que dans les années 70 que l’université française s’ouvre réellement à l’enquête orale. On assiste alors aux développements des récits de vie (cf Le Cheval d’Orgueil ou encore Gaston Lucas, serrurier), des mémoires, des autobiographies, des travaux d’ethnographie rurale et à la multiplication des enquêtes en milieu ouvrier.
Appliquer l’enquête orale à la recherche historique et généalogique revient à tenter de sauvegarder dans l’urgence les témoignages menacés de disparaître. Qui n’a pas regretté l’absence d’un grand-parent lorsqu’il s’agit de mettre un nom sur les visages inconnus de quelques vieilles photographies ?
Souvent les témoignages d’un parent âgé ou d’un voisin nous en apprennent plus sur notre propre famille que la consultation de documents officiels. Ainsi, l’interview est un moyen de combler les lacunes révélées par la disparition d’un ancien ou par la sécheresse des documents d’état-civil. De plus, elle permet d’éclairer différemment les événements ou les petits faits de la vie quotidienne de nos aïeux. Mais dans tous les cas, il ne s’agit pas seulement de collecter les récits, mais plutôt de s’efforcer de les croiser et de les analyser afin de tenter de comprendre le passé.
Pour mener à bien l’interview, il est nécessaire de respecter quelques règles : Le magnétophone est obligatoire afin de garder une trace sonore de la discussion. Au début de l’entretien, il faut toujours préciser ce que l’on compte faire ultérieurement des réponses de l’interlocuteur. La prise de contact est essentielle car d’elle dépend le bon déroulement de l’enquête et d’éventuelles confidences de la part du témoin. Le cadre général des questions doit être préparé à l’avance afin de guider les souvenirs de l’interlocuteur durant l’entretien. Il faut éviter les questions trop floues qui entraîne souvent des réponses très vagues. De même, il ne faut pas être trop précis car on risque alors de fournir involontairement la réponse dans la question. Il importe également de savoir écouter son interlocuteur et de savoir stimuler la mémoire de celui-ci. Il faut respecter ses refus de s’exprimer sur un point précis, toujours tenir compte de ses réticences et de ses gênes face à tel ou tel sujet. Ne pas le juger mais toujours essayer de le comprendre. Enfin, mener une interview suppose une connaissance partielle du sujet abordé afin de pouvoir contrôler la valeur des réponses du témoin.
Il ne faut jamais perdre de vue que les réponses de l’interlocuteur traduisent la façon dont il se souvient de son passé, la représentation qu’il en a. Les risques de réinterprétations, de décalages par rapport à la réalité, ou plus simplement d’oublis sont nombreux. Ses réponses peuvent être également influencées, plus ou moins inconsciemment, par son vécu, ses lectures, des propos entendus, la mémoire collective publique, ou encore par l’interviewer lui-même. De même, ses propos peuvent être, volontairement ou non, erronés par ignorance ou par extrapolation : ainsi certaines personnes sont persuadées d’avoir réellement vécus certains faits dont elles ne connaissent pourtant l’existence que par autrui.
Une fois l’interview terminée, le chercheur se trouve confronté au problème de la transcription, c’est-à-dire le délicat passage de l’oral à l’écrit. Il faut savoir qu’une transcription ne rend jamais parfaitement compte des propos échangés lors de l’entretien. La signification des gestes, des soupirs, des mimiques, des silences, des hésitations, des intonations de la voix qui ponctuent le dialogue ne sont pas toujours bien exprimés par l’enregistrement. De même, l’interlocuteur a pu s’appuyer sur des objets ou des photos pour compléter ou ponctuer ses propos. Il a également pu être perturbé par la présence d’autres personnes. Il importe donc de tenir compte du contexte et de l’environnement de l’interview. Au passage, notons qu’un entretien dans un lieu familier (une maison, un village) peut stimuler les souvenirs.
Sur un plan formel, il convient tout d’abord de mettre de l’ordre dans les questions et les réponses fournies. Ensuite, la transcription doit respecter le style oral, le vocabulaire et les expressions du l’interlocuteur. Elle doit être complète, c’est-à-dire au mot à mot, mais avec ajout de ponctuation pour améliorer la lisibilité. L’utilisation de crochets permet de mettre en évidence les mots douteux tandis que les points de suspension sont réservés à l’expression des pauses ou des hésitations.
Enfin, un dernier travail consiste à confronter les réponses de l’entretien avec d’autres documents, d’autres sources afin de compléter, d’illustrer, d’affirmer ou d’infirmer certains propos.