Je reviens à Lyon
Toutes ces échappées, je le sais, devaient me faire revenir vers Lyon, ma ville, mon refuge, mon point d’ancrage. Je suis la fille de personne, certes, mais je me sens d’ici, je me sens appartenir à cette ville qui m’a recueillie. Elle est comme une mère pour moi et je sais que ma place est ici. Je ne sais au juste ce qui m’attend, mais ce sentiment d’appartenance à ce lieu me remplit d’espoir. Je vais bientôt avoir dix-huit ans et une grande envie de bonheur !
Après un mois passé à La Charité pour du repos et des soins, j’ai trouvé une place de dévideuse chez les Demoiselles Marie, au numéro un Rue du Puits Gaillot à Lyon. Cette rue se situe non loin de la Charité, ce qui me rassure. Tous ici connaissent la bonne réputation de cet hospice et ses œuvres pour les pauvres. Les sœurs m’ont trouvé une chambre à louer au 37 rue Bourgchanin.
Les conditions de travail dans ce dévidage sont bien meilleures qu’à saint Didier et j’y rencontre de nouveaux amis, certains ayant été abandonnés aussi à la Charité, en bas âge. On se raconte nos vies, nos péripéties, des liens se créent. Nous sortons nous promener filles et garçons, Lyon est une si belle ville !
Les jours s’écoulent tendrement et nous passons de plus en plus de temps ensemble… Nous sommes jeunes et fougueux, la passion nous emporte au gré du vent de notre belle jeunesse. Connaitre l’amour et la tendresse enfin ! Comme j’ai bien fait de fuir tous ces lieux sinistres et ces gens cruels qui auraient englouti sans pitié ma vie tout entière ! Le temps m’appartient, ma vie m’appartient, je voudrais tant la mener comme bon me semble.
Quelques mois de bonheur s’écoulent joyeusement jusqu’au jour où je dois consulter le médecin de l’hôpital de la Charité. Ce dernier m’annonce que je suis enceinte de trois mois… C’est le fruit de l’amour, du bonheur, oui, mais je suis encore mineure et avec si peu de ressources. Mon galant, incapable d’assumer sa paternité disparait de mon entourage et me voilà dans une situation bien compliquée. Mais ma décision est prise, je porterai mon enfant coûte que coûte. J’ai continué de travailler autant que faire se peut et dans le même temps, les sœurs de la Charité me donnaient des soins adaptés jusqu’à la naissance de Eucher, un beau garçon en bonne santé né à l’hôpital de la Charité. Elles ont inscrit sa naissance dans le registre comme suit :
« Eucher Dartige, Garçon, né aujourd’hui céans (en ces lieux), le seize novembre 1826, illégitime d’Anne Dartige, âgée de dix-neuf ans, native de Lyon, dévideuse rue Bourgchanin numéro trente-sept, fille naturelle de père et mère inconnus, élevée à l’hôpital de la Charité de Lyon. Il a été baptisé dans cet hôpital et enregistré à la mairie de cette ville le dix-sept novembre 1826. »
Le jour même, la décision fut prise que l’enfant serait placé en nourrice dans l’Ain, à Armix région du Bugey, chez Marie Thomar. Pauvre loupiot, il a un jour à peine et il fera le même chemin que moi quand j’avais huit mois, vers l’Ain pour y être placé. Pour ma part, le médecin, les sœurs m’ont fait raisonner sur le fait, qu’ayant une place de dévideuse, je ne pourrais m’occuper de l’enfant correctement, qu’il serait mieux soigné là-bas. Désemparée, j’ai dû accepter cette décision ; je me remettais à peine de mes couches...
J’avais trop peu embrassé ce petit bout d’homme, mon petit Eucher que, déjà, je le confiais à son transporteur pour un long voyage vers l’inconnu. Une ombre prenait de nouveau place sur ma vie et j’eus du mal à accepter que mon bonheur fût de si courte durée [1].
Jenny
Les semaines passent, puis les années, le dévidage, la rudesse du travail, pour toutes ces difficultés, je cherche à m’étourdir le soir dans les auberges du quartier et oublier la misère. Avec les amis on boit la bière, on chante, on rit jusque tard dans la nuit. A la faveur du noir, on commet l’impossible et pour gagner quelques sous de plus, il est facile de vendre son corps…
On est en 1847, J’habite maintenant au 15 rue de la Barre, dans ce quartier de la Charité que je connais bien. Je loue un deux-pièces au 4°e étage. On vient chez « Jenny », mon nom de fille de joie, de fille publique.
Bientôt, je rencontre Claudine Perret que sa vie de misère contraint aussi à la prostitution. Je lui sous-loue ma deuxième chambre, ainsi nous économisons un peu d’argent. Je suis de douze ans son aînée. A cette époque elle a vingt-sept ans et moi trente-neuf.
Des garçons passent régulièrement nous voir, des pauvres gars à qui la vie n’a pas souri non plus. Comme nous, ils sont illettrés. Pour quelques sous, on leur donne un semblant de bonheur.
Deux vues de la Rue de la Barre à Lyon :
Le plus souvent, ils trempent dans les magouilles, les vols, et j’ai moi-même été poursuivi trois fois pour vols. L’un d’eux, Pierre Moron, un mineur de 19 ans sans domicile fixe, ramène souvent chez nous du vin, du vinaigre ou de l’huile qu’il soustrait dans une auberge où il travaille de temps à autre.
Un autre habitué, Pierre Rullière, 32 ans, a quant à lui caché une somme d’argent importante dans la chambre de Claudine, à notre insu. L’ayant appris, Pierre Moron s’est emparé d’une partie de la somme, cinq cent vingt francs exactement. Il m’en donne une partie puisque je lui ai passé la clé de la porte de Claudine.
Jamais je n’avais eu dans les mains une telle somme, jamais ! J’ai pu retirer des objets confiés au Mont-de-Piété, J’ai payé mon loyer et j’envisageai d’aller voir Eucher dans l’Ain.
Cet argent provenait d’un cambriolage commis par Pierre Rullière et rapidement, sans même que nous l’ayons livré à la Police, cette dernière nous a arrêtés et interrogés tous les quatre puis conduits à la prison de Lyon en attendant notre jugement.
L’interrogatoire (Exacte retranscription)
Le 22 juin 1847 ; Interrogatoire entre le juge d’instruction et Anne Dartige
Anne Dartige, âgée de 39 ans, femme publique, demeurant rue de la Barre, N° 15 au 2e, native de l’hospice de la Charité de Lyon, célibataire, ayant un enfant illettré.
Avez-vous subi des condamnations ?
Anne : Non Monsieur.
D’où connaissez-vous Claudine Perret et Pierre Moron ?
Anne : Je connaissais la fille parce que je lui loue une chambre et l’homme parce qu’il est son amant.
Avez-vous des relations avec eux ?
Anne : J’étais presque toujours avec la fille Perret. Quant à Moron, je lui ai parlé quelques fois quand il venait chez elle.
N’a-t-il pas commis un vol à l’aide de fausse clé et d’effraction dans la chambre de la fille Perret ?
Anne : Je n’en sais rien positivement. Voilà ce qu’il s’est passé : Une fois, la Perret amène chez elle un homme que je ne connais pas. Il y est venu plusieurs fois. Une nuit que j’avais passée avec ma commère, deux de ces hommes se retirent. Ma commère Marie Maralin les raccompagne jusqu’à la porte d’entrée. En remontant, elle se trompe de porte et allait plus haut, lorsqu’elle trouva dans l’escalier un homme sans souliers, sans bas, nu tête et sans veste. Cet homme que je reconnais comme celui de la Perret, entra chez moi, mais y voyant un homme, il repartit, m’appelle dehors et me raconte qu’il était contrebandier, qu’il venait de se battre avec un employé dans une petite rue qui donne dans la rue Saint Jean et qu’il y avait perdu tous ses effets. Il me prie d’y aller voir si je pouvais les retrouver.
Il m’accompagne jusqu’au bout du pont du palais, m’indique bien l’endroit en me désignant la seconde rue après celle du palais. J’y fus et ne trouvais rien, tout même me paraît tranquille. Lorsque je revins lui dire que je n’avais rien trouvé, il me dit : « Tant pis. Si vous aviez retrouvé ma casquette, il y avait Mille francs dedans, je vous en aurais donné la moitié. » Je le retrouvais au bas de mon allée. Il attendait sur l’escalier jusqu’au moment où Moron qui était chez la Perret s’en fut allé, puis il y entra. Je ne le revis pas. La Perret m’a dit qu’il était parti en lui disant qu’il reviendrait avec six mille francs et qu’il lui achèterait une chaîne et une bague et qu’il l’emmènerait avec lui.
Il est revenu le dimanche suivant, il était comme à son départ couvert d’une blouse, mais cette blouse était tachée de sang, il en avait même aux ongles. Il apportait de l’argent. Tout cela réuni me fit naître l’idée que ce pouvait bien être un assassin. Il nous donna, à la fille Perret et à moi, toute la petite monnaie qu’il avait puis il nous envoya acheter une malle où il mit son argent. Il acheta des vêtements pour plus de deux cents francs, il envoya la Perret chercher à déjeuner et nous déjeunâmes tous les trois. Il est ensuite sorti avec la Perret. Pendant notre déjeuner, Moron était chez moi sur mon lit. Je le fis lever pour aller chez ma blanchisseuse chercher une blouse pour mon amant. Il me la rapporta et se remit sur mon lit. Je dus porter cette blouse et m’amusais à causer assez longtemps. Lorsque je revins, je trouvais Moron qui essayait des clés à la porte de la Perret. Comme il ne m’écoutait pas, je sortis avec l’intention d’aller à l’hôtel de ville pour faire arrêter Moron. Malheureusement je n’y trouvais personne. Quand je revins chez moi, je trouvais Moron qui ôtait la poussière de ses vêtements. Je lui demandais ce qu’il avait fait. Il me répondit :
« J’ai fait un bon coup. Ne dites rien. Vous n’avez pas de quoi payer votre loyer, vous en aurez tout à l’heure. » Après, il me montra de l’argent. Je lui crie : « Malheureux, qu’avez-vous fait ? » Il me répondit : « Un voleur qui en vole un autre, le diable en rit ! C’est un voleur, il n’ira pas nous dénoncer. »
Ce raisonnement me séduisit. Nous sortîmes ensemble et nous pûmes acheter à goûter pour quatre francs. En chemin, nous avons compté l’argent. Je tremblais tant, que je n’ai pas suivi son compte. Je sais seulement qu’il mit dans mon mouchoir de poche cent quatre-vingt ou cent quatre-vingts-dix francs. Je pus de suite louer une chambre pour douze francs, uniquement pour y déposer cet argent que j’y ai laissé deux jours. Ensuite, j’ai payé cinquante-trois francs, deux sous pour mon loyer. J’ai retiré deux effets du mont de piété pour trente-huit francs. J’ai dépensé tout le reste pour mes besoins et pour aller dans le Bugey (voir) mon enfant.
Moron explique que c’est vous qui l’avez mené boire de la liqueur et que lorsqu’il eut la tête prise, vous l’avez excité en lui disant que cet homme voulait emmener la Perret, que vous l’avez ensuite encouragé à commettre ce vol, que vous l’avez ensuite aidé à monter sur la soupente, enfin que ne pouvant arriver par cette voie, vous êtes allée chercher des vieilles clés, que vous les avez essayées et que c’est vous-même qui avez ouvert la porte de la Perret et qui l’avez refermée après le vol.
Anne : C’est un petit coquin ! Je peux prouver que pendant le temps qu’il a pris pour faire ce coup-là, j’étais sortie pour aller porter la blousse et que je suis restée à causer au bar de la maison. Puisque j’ai accepté ma part de ce vol, je suis prise. Comme lui, il ne m’en coûterait pas davantage d’avouer ce qu’il dit si je l’avais fait. Au surplus, c’est un voleur qui volé du vin chez Monsieur Cochard.
Lecture à elle faite du dit interrogatoire, elle a déclaré persister à sa réponse et ne savoir signer, de cet interpellé avons décerné mandat de dépôt.
Après ces évènements, je suis restée presque deux mois à croupir dans la prison insalubre de Lyon en attendant de savoir ce que la justice allait faire de ma pauvre vie de misère.
Les lettres
Mes amis sont venus me voir en prison, ils ont écrit, en mon nom, au procureur du Roy et ils ont également rédigé un témoignage sur ma personne. Voici ces lettres :
Le 6 août 1847
Monsieur le Procureur du Rois,
J’ai eu l’honneur d’écrire deux lettres à Monsieur Boujet pour lui demander l’autorisation de faire assigner mes témoins à décharge, je n’ai point eu de réponse, probablement, cela n’entre pas dans les attributions de Monsieur Boujet, mais ne sachant à qui je dois faire mes déclarations, permettez-moi, Monsieur le procureur du Rois, d’oser m’adresser à vous. Il serait par trop pénible de me laisser condamner sans pouvoir me justifier. Si je le puis ainsi, Monsieur, je me recommande à votre extrême bonté. Voici, Monsieur, le nom de mes témoins : Mme Bonnet, Mr Tailleur rue Bourgchanin 30 ; Jules Bellet, peintre en décors, rue de la Barre et au 2e sur le dernier ; Marie Marcelange, chez Mr Rabinet à la Guillotière.
Anne Dartige
Monsieur Le Procureur du Roi en son Parquet,
Monsieur,
Nous, soussignés, sans parenté, venons déclarer que nous connaissons depuis des années la née Jenny Dartige, nous n’avons rien à lui reprocher, qu’au contraire, elle s’est toujours comportée avec ses voisins et connaissances avec toute la probité possible ; ayant su sa position actuelle, nous nous empressons d’y témoigner hautement nos sentiments, pour que vous daigniez, Monsieur, faire fléchir en sa faveur, la rigueur des lois.
Jeanne Bonnet ; Brujean Frères ; Mitlain Traiteur ; Gontard (Et six autres signatures illisibles)
La condamnation
Le 16 août 1847, nous avons été jugés par la cour d’assises du Rhône. Le verdict ? Pierre Rullière a été condamné à vingt ans de travaux forcés et à l’exposition publique dans la ville, Pierre Moron a été déclaré coupable avec circonstances atténuantes et condamné à cinq ans de prison. Claudine Perret a été acquittée. Quant à moi, Anne Dartige, j’ai été reconnue coupable avec circonstances atténuantes et condamnée à quatre ans de prison.
Ce procès a été très long, puisqu’il fallait comparaître chacun notre tour et nous étions quatre. J’ai pu dire au juge que je n’avais pas cru commettre un crime, sachant que Moron avait volé un voleur…
Un long voyage
Les peines de plus d’un an et un jour ne peuvent être purgés à Lyon. C’est la raison pour laquelle j’ai été transférée à la prison de Montpellier où il y avait un quartier pour les femmes. Des diligences, appelées fourgons cellulaires, assuraient régulièrement le transfert des prisonniers, chacun assis dans une des six minuscules cellules individuelles… D’autres filles allaient faire le voyage avec moi, dont une certaine Joséphine Barbier, condamnée 2 jours après moi avec qui j’échangeais quelques mots.
Il a fallu trois jours épuisants pour effectuer ces soixante-quinze lieues. (300 Km). Lyon s’éloignait toujours plus de moi et je ne savais vraiment pas si j’y reviendrais un jour. Je pleurais de rage au fond de moi, je sentais ma vie réduite à rien, ignorée de tous, j’étais condamnée injustement pour avoir seulement convoité et pris de l’argent qu’on avait introduit dans mon propre logement sans que je n’en sache rien. Je songeais à ma vie que je revoyais défiler en même temps que les lieues, et j’en vins à conclure que le sort s’acharnait sur moi. Mis à part les huit premiers mois de ma vie passés auprès de ma mère, mon existence connut bien peu de bonheur et je ressentis froidement une immense solitude m’envahir, un dégoût amer pour cette soit-disant justice, qui m’avait condamnée, sans même ouvrir les yeux sur ce que le destin m’avait réservé jusqu’à présent. J’étais abandonnée de tous et je ne savais pas vers quoi j’allais ni ce que me réservaient les années à venir. Aurais-je la force de survivre ?
Eucher allait être majeur à la fin de l’année. Il avait grandi sans moi, ce dont je me sentais vraiment coupable et en cet instant tout m’éloignait encore de lui. Il était devenu un beau jeune homme et je priais Le Bon Dieu pour qu’il aille bien. Je me remettais en même temps, impuissante, entre ses mains.
La prison centrale de Montpellier dans L’Hérault
Epuisée et engourdie par ce long trajet, je descends de la diligence dans la cour de l’imposante maison centrale aux hauts murs de pierres. Des gardiens nous conduisent dans le quartier des femmes où des sœurs surveillantes nous réceptionnent. Nous passons à la fouille obligatoire. J’y laisse mes habits et je revêts l’uniforme pénitentiaire : une lourde robe grise avec un tablier blanc et une coiffe blanche. J’ai le numéro matricule 3211 et Joséphine le 3210. Puis une sœur surveillante nous énumère les interdits qui régiront désormais notre vie quotidienne.
Le travail pénal est obligatoire du lundi au samedi : douze heures par jour. Le silence est requis toute la journée, et il suffit d’une entorse à ce règlement et il s’ensuit des mesures disciplinaires sévères. L’isolement est la punition la plus redoutée, puisque nous sommes recluses et la folie semble s’emparer de nous au bout de seulement quelques jours. Il y a deux promenades par jour : En file indienne et dans le silence. L’office religieux est obligatoire le dimanche, notre seul jour de repos. Trouverai-je Dieu ? Existe-il ? En tout cas, il se trouvait dans l’amour des sœurs de la Charité, mais ici, les sœurs sont gardiennes du respect de l’ordre et faire preuve de sentiment n’est pas vraiment le reflet de leur personnalité ni du rôle qui leur incombe.
Nous sommes au nombre de 363 prisonnières et nous servons de mains d’œuvre bon marché pour un intense travail de filature, de dévidage de soie, de couture, de tricots, et autre. Nous sommes affectées à divers ateliers, le plus important étant celui de la couture militaire qui emploie 112 filles, suit celui de la couture fine et mi fine : 104 filles et celui de la confection de gants en filoches : 74. Quatre tissent des bas au métier pour 8 qui les tricotent. Dix-sept sont au ravaudage, (rapiécer, repriser une étoffe à l’aiguille) treize épluchent la laine, quatre sont au tissage de nos vêtements, cinq à la filature au rouet, cinq à l’infirmerie, trois au rabattage des matelas. Il y a aussi le cardage des Frisons. Cette tâche, redoutée de toutes, consiste à carder les résidus des cocons du ver à soie mêlés aux cadavres des chrysalides après le dévidage. Une fois séché, cet amas de fibres grossières dégage une odeur nauséabonde ainsi qu’une poussière responsable de difficultés respiratoire et d’une toux tenace.
Reste le travail pour deux détenues à la cuisine et douze sont affectées au service général, dont le balayage de cette immense prison et la tache consistant à gérer l’éclairage aux chandelles des divers services et ateliers.
Pendant que certaines travaillent, d’autres sont malades à l’infirmerie, dont des femmes âgées et infirmes qui y finiront leur peine ou leur vie…. Les rebelles croupissent isolées dans les cachots… Certaines sont inoccupées pour des raisons que je ne connais pas.
- Vue de la maison centrale de Montpellier–Hérault.
Les équipes sont encouragées à travailler de façon à atteindre un certain objectif et même à le dépasser afin de percevoir des gratifications en dehors des tarifs normaux. Malgré les efforts consentis par les détenues, celles-ci ne perçoivent pas toujours leurs gratifications. D’où une réclamation faite au préfet de l’Hérault. (Voir lettre ci-jointe du Directeur et de l’inspecteur.) Une liste nominative des filles méritantes est dressée.
Une autre lettre du directeur de la prison également adressée au préfet, montre l’importance de ces gratifications pour la qualité et la cadence du travail. D’autre part, cette lettre mentionne que si des sanctions répressives sont infligées pour mauvaise conduite, à l’inverse, des récompenses sont attendues quand elles sont méritées. Les détenues doivent s’attendre à la justesse d’une disposition comme de l’autre. Le Directeur parle également du fait que si les détenues sont libérées avant d’avoir perçu leurs gratifications, la somme devrait être envoyée à leur domicile.
- Registre d’écrou rédigé à l’arrivée d’Anne Dartige à la maison centrale de détention de Montpellier le 16 Août 1847.
- Extrait du greffe de la cour impériale de Toulouse concernant la détenue Jeanne Dartigues en date du 18 novembre 1861.
- Bulletin des travaux du mois de mars 1850. On peut voir les différentes désignations des ateliers.
La détention
Ces quatre années d’enfermement m’ont semblé une éternité. La première a été la pire puisque j’ai dû apprendre à me taire, à me soumettre, à me résigner, à exécuter les ordres, à travailler du matin au soir dans un silence complet. J’ai parfois cru devenir folle à cause d’injustices, de mensonges, de cruauté, d’abus… Certes, ma vie d’avant la prison n’était pas glorieuse, mais je pouvais décider, vouloir, rester, partir, crier, rire, aimer…
Le travail rythmait nos journées et nous unissions nos forces pour fournir un ouvrage de qualité, ce qui nous permettait de recevoir quelque argent que l’on pouvait économiser. Cela nous permettait de penser à plus tard, d’envisager, de faire des projets. Nous refaisions le monde, en nous promettant de mener une vie plus « rangée » et de retrouver notre dignité.
Notre quotidien était aussi marqué par nos disputes, nos rivalités, nos jalousies, nos haines, nos bagarres… Les gardiennes tranchaient net, sans toujours comprendre les causes de ces conflits.
Nous voyions d’autres détenues arriver, il fallait les accueillir parmi nous. Mais heureusement, les peines des unes et des autres arrivaient successivement à leurs termes, et on se disait au revoir, en se promettant de nous retrouver plus tard…
Enfin la libération
« Le 15 août 1851 ». J’ai pensé à cette date presque tous les jours. Elle devenait pour moi comme une obsession, et je devais tenir coûte que coûte jusque-là. Je voulais absolument voir ce grand jour et il est enfin arrivé. Les portes de cette prison de Montpellier se sont ouvertes pour moi ce vendredi 15 Août 1851. Mais en même temps, il était aussi effrayant puisque je repartais à zéro et retrouver le monde extérieur après toutes ces années d’isolement me faisait très peur.
Il a été convenu que je reparte pour Lyon en diligence. J’avais quarante-cinq ans, un soleil radieux caressait mon visage et la liberté sentait bon l’été. J’allais revoir Lyon ma ville bien aimée, et j’avais un désir fou de vivre, enfin.
Épilogue
L’histoire d’Anne s’arrête la pour le moment, mais j’espère cet épilogue non définitif car il me faut encore trouver ce qu’elle est devenue après sa sortie de prison. Je continue mes recherches également pour trouver l’acte de sa naissance, mais la France est grande !
Je vais user les touches de mon clavier pour éplucher les recensements et tout ce qui peut être à ma disposition grâce aux archives. Je réalise une chose vraiment troublante qui nous relie, Anne et moi, c’est que depuis cinq ans, je travaille dans un foyer d’enfants placés...
Merci à vous chers lecteurs, chères lectrices, d’avoir pris le temps de faire cette parenthèse pour vous retrouver à une autre époque grâce à la lecture du récit de cette femme hors du commun qui mérite bien un peu de notre temps !
A bientôt, j’espère pour de nouvelles aventures !